Vous trouvez l’interview complète uniquement sur notre blog, l’article original est paru en allemand dans «HR Today» no 9/2014. PDF
Corinne Päper: Madame Scheuner, 7% de l’écart salarial entre femmes et hommes ne sont pas explicables. Quelle est, selon vous, la raison principale de cet écart?
Jacqueline Scheuner: Les préjugés ont la vie dure: encore aujourd’hui, on pense que tôt ou tard, les femmes deviendront mères et que de ce fait, elles diminueront leur temps de travail. Nous entendons ces idées reçues dans des discussions avec nos clients ou nos partenaires. Evidemment qu’elles existent ces femmes qui, après la naissance de leurs enfants, souhaitent travailler moins, voire même plus du tout. Mais cela ne concerne pas toutes les femmes. En général, elles sont plutôt assignées au «soupçon général de maternité», et ça commence lors de la première embauche après la formation – ou au plus tard quand le premier enfant est là. Les femmes le sentent bien au moment de négocier leur salaire ou quand il s’agit de discuter de leur plan de carrière. Notre expérience à ce propos est appuyée par l’étude du Fonds national de Ecoplan Berne et de l’Université de Bâle. L’étude montre par exemple que les personnes qui parlent plus fort sont privilégiées, et que la solidarité masculine prévaut lors de négociations salariales pour des fonctions importantes. Par ailleurs, nous constatons que les femmes se dévalorisent souvent et qu’elles négocient moins que les hommes.
D’après vous, quelle serait la raison essentielle de ce grand écart salarial entre femmes et hommes?
Personnellement, je crois qu’il s’agit moins d’égalité salariale que d’égalité générale entre femmes et hommes au travail. Chez Careerplus par exemple, nous sommes convaincus que l’égalité au travail entraîne forcément l’égalité salariale. Quand je dis égalité, je parle aussi de celle des hommes, celle qui leur permet notamment de travailler à temps partiel sans qu’ils aient à craindre pour leur salaire ou une future carrière. Chez Careerplus, nous leur offrons cette possibilité. Puis, selon notre expérience, le nombre de femmes et d’hommes représentés dans les organes de direction devrait être plus équilibré. Cela leur permettrait de ne pas parler d’égalité en théorie, mais de la pratiquer sur le terrain directement. Car si le pourcentage de femmes est élevé dans une entreprise, en revanche, son management est souvent composé uniquement d’hommes, et ces derniers ne vont pas se pencher assez sur la thématique de la conciliation entre vie de famille et travail. Ce n’est pourtant pas sorcier de faciliter tout cela. Par exemple, en tant qu’employeur, il suffit d’accorder davantage d’importance à la performance plutôt que de se concentrer sur le temps de présence. Ainsi, les collaborateurs pourraient être plus flexibles.
Est-ce que la discrimination salariale est liée uniquement aux femmes, ou peut-on avancer que les personnes discriminées sont plus introverties, qu’elles se vendent moins bien, ou qu’elles ne connaissent pas la culture suisse?
Savoir se vendre sur le marché du travail actuel représente un avantage non négligeable. Il est important de connaître sa valeur et savoir la vendre avec confiance. Toutefois, il y a aussi des qualités précieuses et recherchées, que l’on reconnaît seulement dans un deuxième temps, et que l’on peut mettre en avant grâce à des processus de recrutement structurés basés sur des outils scientifiques. Careerplus utilise ces méthodologies. Les assessments supplémentaires, que nous mettons en place aussi bien pour nos clients que pour nos propres recrutements internes, permettent de ne pas prendre de décisions sur une base d’impressions subjectives.
Comment faites-vous pour exclure dans votre propre entreprise la discrimination salariale?
Notre engagement dans le domaine de l’égalité entre femmes et hommes, qui inclut l’égalité salariale, est clair, et il est ancré dans une stratégie, dans notre charte d’entreprise et dans notre politique salariale. Sur le plan opérationnel, nous utilisons un système de salaire basé sur des méthodes analytiques, ainsi que sur des processus d’évaluation uniformisés et intelligibles. À position comparable, nous avons défini des salaires d’entrée uniformes et l’évolution salariale advient exclusivement dans le cadre de la performance individuelle qui elle, se base sur deux critères: est-ce que les objectifs ont été atteints, et comment ont-ils été atteints? Tout ce processus se déroule à travers un modèle de compétences transparent comportant des indicateurs clairs.
Quel est selon vous l’élément le plus important pour une entreprise qui souhaite exclure la discrimination salariale? Avez-vous des conseils?
En parallèle de la méthodologie que je viens de citer, nous publions régulièrement des études salariales qui proposent des échelles de salaires des métiers pour lesquels nous recrutons du personnel qualifié. Nos clients et nos candidats peuvent ainsi estimer si le salaire est conforme au marché. Les échelles salariales reposent sur des critères comme l’âge ou la formation continue et nous renonçons délibérément à différencier les salaires entre hommes et femmes. Par ailleurs, en tant que principale entreprise de recrutement en personnel qualifié en Suisse, nous indiquons en partie l’échelle salariale directement dans les offres d’emploi.
S’il est vrai que le pourcentage de femmes est relativement élevé dans vos équipes, il apparaît que vous subissez un taux de fluctuation assez important, comme le soulignent les commentaires sur le site «kununu». Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène?
Nous offrons un démarrage dans le domaine des ressources humaines à des personnes fraîchement diplômées et leur donnons très rapidement de nombreuses responsabilités. Autrement dit: nous jouons délibérément le rôle de tremplin pour les jeunes diplômés. C’est pourquoi nos collaborateurs sont très appréciés sur le marché du travail. En règle générale, ils restent chez nous entre deux ans et demi et trois ans. Ils changent ensuite souvent pour des postes à responsabilité dans des entreprises de renom qui leur proposent d’autres tâches et défis qu’ils n’ont pas pu trouver au sein d’une société de recrutement comme la nôtre. Par ailleurs, en raison de sa structure, Careerplus offre seulement dans une faible mesure des plans de carrière dans la gestion de projets. En revanche, nous créons de nombreuses opportunités de développement à l’interne pour une carrière dans une fonction dirigeante. Notre direction et notre management sont éprouvés et n’ont subi, ces dernières années, que très peu de changements.
Quelles circonstances, selon vous, favorisent la discrimination salariale? Et dans quelle mesure la transparence salariale est-elle une solution?
Il y a toujours un danger de discrimination salariale quand les salaires ne sont pas vérifiés régulièrement selon des critères de transparence qui tiennent compte des exigences et des performances liées au poste. Comme je l’ai déjà souligné, la discrimination salariale est fortement liée à l’égalité des chances et l’égalité des sexes. L’âge, le genre et l’origine ne devraient pas être des facteurs déterminants des chances que l’on a sur le marché du travail. Principalement, on pourrait dire: là où prédominent l’égalité des sexes ainsi que la transparence, et là où les hommes et les femmes sont représentés à parts égales dans les organes de direction, l’égalité salariale semble bien ancrée, quel que soit le secteur d’activité.
À compétences égales, quels conseils donnez-vous aux femmes pour qu’elles obtiennent le même salaire qu’un homme?
Elles devraient lire nos études salariales ou se renseigner sur internet si le salaire est conforme à la position, l’âge et la formation. Par ailleurs, elles devraient demander conseil. Connaître sa propre valeur sur le marché du travail est extrêmement important. Il faut assumer ses compétences, poser les exigences y relatives, et ne pas avoir peur de négocier. Finalement, il est important de soigner son réseau au sein duquel on peut aborder le sujet des salaires.
Quelles conséquences peut avoir la discrimination salariale pour les entreprises?
Quand la discrimination salariale sort du bois, elle nuit à l’image de marque, l’entreprise perd de son attractivité pour les chercheurs d’emploi. Quand il y a une pénurie croissante de personnel qualifié au sein d’une entreprise, son image de marque devient encore plus importante, surtout si elle est à la recherche de talents. Au niveau personnel, ce type de rupture de confiance provoque dans tous les cas une frustration, car nous sommes bel et bien en présence d’une discrimination salariale. Cette situation et le manque de reconnaissance peuvent entraîner une diminution de la loyauté, voire de la motivation.