Face au besoin de flexibilité des travailleurs et à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, le travail temporaire est-il l’avenir? Marius Osterfeld, membre de la direction de Swissstaffing, aborde les défis et opportunités de nouveaux modèles.
Au cours des dernières années, nous avons appris à faire preuve de flexibilité. Et cela vaut aussi pour le monde du travail: de plus en plus de modèles de travail émergent – ou bien les apparences sont-elles trompeuses?
Le travail flexible est en phase avec l’air du temps: sur 5 millions de personnes actives en Suisse, au moins 1,3 million travaillent selon un modèle de travail flexible. Ce terme désigne délibérément un vaste panel de situations professionnelles: nous y incluons les employés fixes à faible taux d’occupation, car le faible taux d’occupation est également une expression de leur besoin de flexibilité. Il faut également y ajouter les travailleurs indépendants, les personnes occupant plusieurs emplois ainsi que les personnes travaillant sur appel et les travailleurs temporaires. Ces derniers, en particulier, ont connu une forte croissance ces dernières années.
Pourquoi le travail temporaire est-il en vogue?
Depuis le début des années 1990, le secteur de l’intérim a plus que sextuplé. Alors qu’auparavant, c’étaient surtout les jeunes qui recherchaient la flexibilité, aujourd’hui c’est également le cas de personnes d’âge moyen. Et pour cause: les jeunes d’autrefois ont vieilli. Ils ont toujours ce besoin de flexibilité, mais ils souhaitent également bénéficier d’une protection sociale. Les personnes qui travaillent en intérim par le biais d’une agence de travail temporaire sont couvertes par une CCT, bénéficient de toutes les prestations sociales, sont affiliées à une caisse de pension et ont accès à des financements de formation continue. Ce qui n’est pas le cas avec le statut d’indépendant. En outre, la pandémie de Covid-19 a aussi renforcé la tendance, et les gens ont pris goût à l’indépendance.
Un préjugé courant est que les modèles de travail flexibles sont précaires et génèrent des dépendances.
C’est précisément le contraire: les personnes flexibles peuvent s’adapter avec souplesse à leur situation de vie et à de nouvelles circonstances. Pour éviter le risque du salariat déguisé, les emplois temporaires sont justement une bonne solution. Surtout dans les cas où les freelances travaillent sur un projet durant une longue période, comme c’est souvent le cas dans le secteur informatique.
Par le passé, on pensait que le travail temporaire était surtout intéressant pour les personnes peu qualifiées. Cela ne reflète évidemment pas la réalité.
Dans le monde du travail flexible, il n’y a pas un seul profil. Le spectre est très large, allant des étudiants qui effectuent des missions de rédaction sur appel aux experts en technologie hautement qualifiés qui accompagnent les start-up sur le chemin de la percée. Aujourd’hui, de nombreux travailleurs occupent également des postes temporaires dans des domaines spécialisés. Ils ont délibérément opté pour un modèle de vie flexible. C’est un modèle de travail qui concerne toutes les couches de la population.
Dans quelle mesure les entreprises profitent-elles des formes de travail temporaire?
Les entreprises gagnent ainsi en productivité, en innovation, en agilité et donc en rentabilité. Elles sont mieux parées pour faire face aux périodes de crise. Elles peuvent aussi tirer parti du travail temporaire pour pallier la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. En effet, les entreprises qui combinent intelligemment intérimaires et employés fixes peuvent nettement améliorer leur situation. Dans un tel modèle, les employés fixes forment le cadre et portent le savoir interne de l’entreprise. Les spécialistes sont appelés en fonction des besoins, sur la base de projets. Compte tenu de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, nous ne pourrons plus à terme nous permettre, en tant que société, de recourir à certains emplois fixes. Nous devons laisser notre main-d’œuvre qualifiée naviguer d’une entreprise à l’autre.
Quels sont les principaux défis pour les entreprises?
Elles doivent harmoniser l’interaction entre les employés fixes et les employés flexibles, à la manière d’un chef d’orchestre. Chacun a son rôle à jouer et doit intervenir au bon moment. Coordonner tout cela représente un défi et nécessite de nouveaux processus et de nouvelles structures. Les employeurs doivent délimiter avec précision les tâches et les fonctions des employés fixes et celles des spécialistes temporaires. Même si cela peut paraître simple, cela doit être bien pensé. De nombreuses entreprises en Suisse ont des réserves à ce sujet, car il y a encore peu de connaissances sur le sujet.
Quels sont les postes les plus recherchés par les entreprises et dans quels secteurs?
Le modèle de travail temporaire convient bien aux secteurs dans lesquels les travailleurs peuvent mettre à profit leur expertise aussi rapidement que possible. Cela permet de soulager considérablement une entreprise de manière immédiate. Concrètement, il s’agit de secteurs comme les soins, la construction, l’informatique, le tourisme, la restauration et l’industrie. Le domaine de la finance présente également un certain potentiel, car les spécialistes peuvent être utilisés de manière ciblée pour un projet. Bien entendu, il faut un comptable permanent qui soit au fait de tous les comptes. Mais pour une expertise spécifique, par exemple sur les dernières règles IFRS, un expert peut apporter son soutien. Tout est une question d’interaction.
Marius Osterfeld, docteur en sciences politiques, est économiste et membre de la direction de Swissstaffing, l’association suisse des employeurs des services de l’emploi. Swissstaffing représente les intérêts de ses membres dans les sphères politique, économique et sociale. Depuis 2012, Swissstaffing est partenaire social de la CCT pour le travail temporaire, l’une des plus grandes conventions collectives de travail de Suisse.
